Les Contes de Sarajevo
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Une ville détruite, des habitants perdus et d'étranges individus que l'on jugerait sortis tout droit de contes de fées... Mais que se passe-t-il donc ?
 
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 | Milja

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Milja

Milja


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| Milja Empty
MessageSujet: | Milja   | Milja EmptyMar 6 Jan - 23:22


    La neige.
    C'est de la lumière dont la terre est couverte.
    Des franges d'écume sur les rochers.
    Un vol de papillons blancs.
    ( Roger Mondoloni ; Onaga)




    ____Naissance. 1973
    Il neigeait des plumes, des cendres cotonneuses qui virevoltaient-papillons-de-lune-brisés-au-ciel-sans-fond. Au clair, il neigeait. Les passants se perdaient dans la bouche torve de la ville couverts par le manteau pesant du dehors. Froid. Alors que le vent rêvait déjà de nouveaux horizons, de nuages, d'étoiles, et de cerisiers, il filait à toute vitesse à travers la ville, bousculant les enfants, les branches des arbres, les oiseaux. Tournait dans une rue au hasard, envoyait une envolée de neige à la fenêtre d'un bâtiment. Hôpital. Bien rangé, propre et lumineux dans la cité endormie. Et la neige cogne à la fenêtre, et en réponse, une femme crie. Ma maman crie. Je crie. Ce cri mouillé, frustré, ridicule, de l'être qui vient de force à la vie, c'est presque moi. Ma maman me réclame pour ses bras tous vides. Elle arrive dit le médecin, j'arrive, bien sur j'arrive, ça fait neuf mois que je ne fais rien d'autre qu'arriver, donnez moi à ma maman. La voilà, elle m'aime, je l'aime. On était un, on est deux, et alors, on s'aime. Cette petite chose rose qui s'agite, qui ouvre ses yeux, bientôt. Qui s'étire comme une chenille, c'est bien moi il parait. La neige cogne à la fenêtre. Milja et la neige. C'est comme un conte de fée, pas vrai ? On m'emmène à la maison. On me couvre de baiser, d'amour, de regards jolis. J'ai même un papa, dites-donc. J'ai même un berceau, avec des étoiles au dessus. La berçeuse de maman. Sommeil.

    ~ ~ ~ ~

    L'enfance c'est de croire
    qu'avec le sapin de Noël
    et trois flocons de neige
    toute la terre est changée.
    (André Laurendeau ; Voyages au pays de l'enfance )



    ____Enfance. 1978~1990
    Petite greluche. Comme un papillon. Un papillon de nuit parce qu'elle passe son temps à se cogner partout. Incroyable d'être maladroite comme ça. Mais un papillon diurne, aussi. Elle a sa manière de vous effleurer d'un fugace baiser, léger comme une plume avant d'aller ailleurs, de Lys en Rose, de Marguerite en Violette. Passoucispassoucispassoucis. J'aime pas les soucis, j'aime pas travailler, j'aime pas pas bouger. Pas d'effort, pas de staticité, pas de sentiments trop forts non plus. De la surprise souvent, un émerveillement enfantin, une mine de gamine subjuguée dès qu'elle voit quelque chose qu'elle ne connait pas. Gamine-bouche-en-coeur-yeux-violettes-clochette-curieuse. Je fais la joie de mes parents. de mon papa Iorek, de ma maman Sonja, même qu'ils n'en veulent pas, une autre que moi. Iorek, il fait des bagues, des colliers, des boucles d'oreilles jolies. Ma maman, elle les vend aux grandes dames. Je suis de la famille ou l'on sauve le monde en vendant des étoiles.

    Courir, dans les rues de Sarajevo. Rire aux éclats, les autres enfants, maman, la rivière, le pont sur la rivière, vertige, regarder en bas, c'est joliment très beau. Ramasser les feuilles d'automne, copeaux de soleil ternes, à pleines brassées, jetées dans la rivière. Il pleut du feu. Courir après les feuilles, ceuillir des fleurs, courir après les chats, crier, rire. Se moquer du désordre politique, connais pas, politique, ce que ça veut dire. M'en fiche, si maman a fait des gateaux aujourd'hui tout va bien, si le chien du voisin est mort, tout est triste. Si je trouve une bille irisée dans le caniveau, je suis consolée.

    Il y a un miroir un peu fêlé dans le corridor de l'appartement. Petite fille s'arrête petite fille regarde je ne suis pas belle je suis pas belle pasbellepasbellepasbelle. Caprice, c'est un caprice, de petite fille, d'adolescente précoce, parcqu'il faut dire qu'elle est belle, comme un rayon de lune,et que beaucoup d'autres ne le sont pas. Faut dire qu'elle a des cheveux d'anges qui dégoulinent sur son dos comme une flaque de chocolat, qu'elle a la peau blanche, comme la neige, la neige, qu'en plus qu'est douce comme une pêche et qu'irradie de pureté. Faut dire qu'elle a le sourire, un beau sourire en fleurs séchées, parfois, la petite fille boudeuse. Et puis y a ses yeux bleus, comme les mers du Sud, qu'elle a pourtant jamais vues, qu'on dirait même qu'elle s'y est noyée, elle qui s'y est jamais baignée. Et son corps de poupée, comme de la porcelaine, et ses cils longs et fragiles comme la dentelle de Bruges, comme la verrerie de Prague, comme la neige, la neige. Tous les ans, elle a rendez-vous avec la neige, qui l'aime, qu'elle aime. De ses quatorze rendez-vous, de ses quatorze ans, elle n'oublie pas une perle, des perles d'amour, des gouttes de lumière, dans cette ville si laide, laidelaidelaide, comme elle, qu'elle dit à maman, qui secoue la tête en souriant. Folle petite fille. Il y a la neige contre la vitre. Il y a un violon auquel il manque une corde. Il y a une poupée de chiffon. Et je trouvais ça bien. Je grandis, j'embellis. Même que ces jours-ci, mon reflet dans le miroir, éblouie avec mon sourire. Il cessa d'être une idée, cessa d'être à demi-transparent dès la seconde ou je le vit. Il devint un morceau de moi. Une troisième aile. Mon nuage, mon véhicule pour le soleil, cette friandise dont j'ai tant envie, et la neige, mon premier amour. Et lui, mon deuxième amour.

    ~ ~ ~ ~

    L'amour donne le vertige,
    mais son vertige, si intolérable qu'il soit,
    est un délice infini.
    ( Hubert Aquin; la Neige noire )


    ____Le temps des Amours. 1990~1993
    Je l'ai rencontré. Un peu après mon dix-septième rendez-vous, je crois. Et j'ai bu un peu du soleil que je voulais tant dévorer. Et lorsque j'ai levé les yeux, c'est moi qui me suis faite avaler. Toute entière. Empoisonnée, brûlée. Redevenue la chenille du premier-rendez vous. Plus qu'une toute petite aile, qui regarde, qui regarde son soleil la dévorer. Qui aime, enfin. Pour la première fois, un autre que la neige. Et puis des milliers de papillons. Et puis la vie, un peu à deux, un peu à un, quand on est vraiment tous les deux. Et puis je vomis le monde. Tous les matins. Et je suis enceinte, au fait, je lui dit, en passant. Il hoquète. Et puis on se dit qu'on va se marier. Mais pas tout de suite. J'ai trop mal au ventre. Tout rond tout rond, comme un ballon, comme un soleil, celui-là, ce sera pas une chenille, mais un papillon. Une petite lune blanche.

    Papa me voulait vendeuse d'étoiles. Une orfèvre selon son coeur. Mais moi, j'aimais la neige, j'aimais mon amant, et je voulais un bébé, mon bébé à moi, ma lune blanche. Petite fille, comme moi alors que j'étais petite fille, je l'aime déjà, si fort. Je reste assise dans le vieux fauteuil de la maison. Lui, mon unique, mon amour, il travaille tous les jours, pour moi, pour nous. Je deviens ronde, comme la terre, comme une orange, ça le fait rire. Et parfois, il m'apporte des oranges que nous mangeons ensembles en lisant un conte, pour elle. Les journeaux, on les lit pas. Il y a un peu moins à manger qu'avant, mais il n'y a qu'à dévorer son sourire comme il me dévore des yeux. La vie est bellebellebelle.

    Et le froid. Et mal au ventre. Et re-l'hopital et les salles blanches. Il devient chaotique, sâle, mal-rangé, détestable, je le déteste-malade-cernes-bleus-sous-les-yeux-fatigue. Je voudrais crever. Mais il y a mon soleil. Mais il y a elle, qui grignote mon ventre. Que mon ventre grignote. Elle qui meurt avant moi. Et mon soleil s'éteint. Voilà ce qu'aurait ressenti maman, si j'étais morte dans son ventre. Petite fille, ma petite fille, qui avait une âme de princesse. Qui est partie. Jamais venue. Dans la terre trop froide. Loin du soleil. Sous la pierre. Sous une pierre. Une pierre tombale. Ma pierre tombale. Ma pierre tombale pour plus tard. Il reste lui, mon amour. Et ça compte plus, tellement plus que la mort comme il y en a des milliers. Perdue notre petite Lune. Et puis la neige, une fois, deux fois, trois fois. Nous redevenons Vivants. Nous redevenons Un et plus trois. Petite fille est toujours là, elle nous regarde de loin. Cède la place à notre Un. Mais ne s'efface pas. Et ma maman qui m'emmène dans un salon de brume. Avec du blanc. Une robe. Elle me fait enfiler une robe de nuage. On avait dit, on allait se marier. Pour être la princesse soleil, un jour dans une vie. Dans ma vie...

    ~ ~ ~ ~

    « Mais je n'ai nulle envie d'aller chez les fous », fit remarquer Alice.
    « Oh ! vous ne sauriez faire autrement, dit le Chat : Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle. »
    « Comment savez-vous que je suis folle ? » demanda Alice.
    « Il faut croire que vous l'êtes, répondit le Chat ; sinon, vous ne seriez pas venue ici. »
    (Lewis Carroll ; Les Aventures d'Alice au Pays des Merveilles)


    ____Et la mort, et les contes. 1993
    Ce jour là, à l'Eglise, il pleut du feu. Des cris des sanglots, la mort, partout, du noir, du rouge, des cendres, des cendres, et j'ai mal, j'ai tellement mal. Qui eut cru un jour que des feuilles d'automne lancée du ciel puissent démolir autant. Mal dans mon corps tout cabossé. Mal dans ma tête qui tintibulle, petit coeur cassé, morts, ils sont tous morts. Même moi. Sauf moi. Sauf la princesse soleil en robe blanche, blanche et rouge et mon Dieu faites que ce ne soit que de l'encre, que ce ne soit qu'un rêve, un rêve brumeux, faux, dissonant, un rêve, un rêve, je vois sa main là. Et puis, sa tête là bas. Un...Puzzle. Macabre, dégoûtant. J'ai...peur. Ca sent les cris, la tristesse, beaucoup de tristesse. Et ils sont nombreux, fantômes hagards-perdus-désespérés-soleil-perdu, qui errent entre les ruines, les ruines de Sarajevo, en ce début d'automne 93. Trébuche, tourne, toujours du même coté. Une chute dans le caniveau. Un reflet bleuté, bille de verre aux parfums d'enfance. Elle la prend, rit, pleure, passe sur la rivière, l'y jette, manque de la suivre. Boule de neige qui sautille sur le pont. La neige. La neige. Elle s'éloigne du garde-fou. La regarde. C'est un lapin. Un lapin blanc. Commençait la conversation qui n'existait pas.

    « Tu en fais une drôle de tête, dit le lapin, dis, tu n'aurais pas vu ma montre ? Je la cherche partout, il est capital que j'arrive à l'heure, j'ai un rendez-vous très important, tu sais. »
    Pas de réponse.
    « Oh, tant pis, je la trouverai bien tout seul. »

    Un lapin blanc. Il tourne les talons, s'en va en sautillant, reniflant l'air, comme si l'odeur de poudre à canon qui pourrissait l'atmosphère, il ne la sentait pas. Comme si lui, le lapin, n'existait pas. Mija redevient petite fille. Tombe à genoux. Pleure, pleure pleure. Monde trop laid. Monde trop triste. Pour en venir à y inventer des contes, il fallait bien qu'il le soit. Elle pense à Maman qui le lui lisait, la neige qui toquait à la fenêtre comme si elle écoutait, à son amant, qui le lui lisait, à sa lune blanche à qui elle l'aurait lu. À elle même, qui l'a finalement vu. Vrai de vrai-de-ses-yeux-vu-bien-réel-là-sur-le-pont. Il faut vivre. La fiancée de la neige ne veut pas manquer son 20ème rendez-vous. Elle attendra jusque là, ou jusqu'au second lapin blanc. Et en attendant, elle regardera dans le journal ce que veut dire le mot politique.

    Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,
    - Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
    - L'Ennui, fruit de la morne incuriosité,
    - Prend les proportions de l'immortalité.
    ( Charles Baudelaire ; Spleen )


    Jour I de l'éternité ; apprendre à survivre dans l'obscurité.

    __
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MessageSujet: Re: | Milja   | Milja EmptyMer 7 Jan - 0:09

Yahou, miaou~

Ta fiche est très belle, tu en aurais fait quatre pages que je ne me serais pas lassé de ton style d'écriture.

Tu es validée et congratulée.
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