Les Contes de Sarajevo
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Une ville détruite, des habitants perdus et d'étranges individus que l'on jugerait sortis tout droit de contes de fées... Mais que se passe-t-il donc ?
 
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 ~ Грімм

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Grimm

Grimm


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Emploi RPG : Sempiternel mouton reptilien.
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MessageSujet: ~ Грімм   ~ Грімм EmptyDim 18 Jan - 0:30





ACTE PREMIER, NAISSANCE


La vieille bergerie. 1993

Scène première. ▬ ВЕДЬМА, СУЩЕСТВО
L'obscurité suspend tout. Il n'y a rien qui puisse, dans l'obscurité, devenir vrai.
Alessandro Baricco


Depuis le début elle tire les ficelles, accrochées à ses doigts violacés. Ses mains, ses bras bougent, et vite. Aussi vite que ses lèvres qui maugréent des incantations, où quelque chose comme ça, dans la plus barbare des langues. Un rictus décharné sur son visage, un vieux livre pour enfants ouvert sur une créature d'Enfer. Et bientôt, c'est la nuit. Une obscurité sans nom qui recouvre une ville sans vie, maudite. Puis ça se réveille, de partout. Des enfants, des soldats, des monstres qui sortent dans la nuit de Sarajevo pour danser un ballet effréné tous ensemble. Ça rie, ça chante, ça crie, ça tire, ça tue, ça tombe... Et la voix de la sorcière s'arrête, et la nuit pas. Au contraire.

Ô vacuité, de couleurs et de pyrotechnie, surtout de pyrotechnie. Les étincelles qui frétillent, follettes, et virevoltent au rythme du chant des mitraillettes et des bombes qui s'écrasent. Le vide, le noir, la mort. Point. Et elle choisit ce moment car il n'y a pas plus beau que le chaos. Elle m'y lie. C'est comme un don, comme Fée penchée sur le berceau d'un nouveau-né. Ma Marraine, macabre Muse, qui fissure l'obscurité d'une nouvelle formule magique. C'est plus noir que tout ce que vous pouvez imaginer, plus noir encore qu'un trou dans le tissu de la nuit. Et de l'entaille, jaillit la Bête. Deux gigantesques pattes avant qu'aspirent neiges et vent. Deux gigantesques pattes avant qui s'écrasent lourdement sur le sol dans un bruit de tonnerre. Et sous les griffes, - sous mes griffes -, ça crépite. Le grimoire pleure, le grimoire saigne. Arrachées, meurtries, les pages s'envolent. Et comme par la main d'un artiste, mon museau se dessine à son tour, se matérialise dans le monde, votre monde, puis mon corps tout entier, griffonné sur une toile d'air glacé. Au loin, ils meurent. Mais ma métamorphose continue, encore et toujours, accentuée par les cris et l'essaim bourdonnant de flocons givrés. Les mots s'effacent, l'encre coule, dégouline sur les pages blanches qui disparaissent, emportées par les bourrasques. Tout apparaît au fur et à mesure, puis se colore, jusqu'à mes pupilles incandescentes et le bout de ma queue, Chimérique. C'est un songe qu'on a corrompu. Non, non. Une drôle de saveur de cauchemar. Un véritable parc d'attraction aux délices rouges carmins qui embrase tout ce que je frôle ou qui a la peine de m'effleurer.
Ainsi vins-je au monde. La Belle et la Bête. La Moche et le Monstre. La Sorcière, le Dragon. La fin des temps. Ou la fin, tout court. Je m'évanouis, anti-héros, fatigué par ma triste naissance dans cet anti-conte de fées...


« Je suis pourtant né d'une goutte d'encre tombée dans la plus noire des nuits. »



Une rue de Sarajevo. 1993

Scène V. ▬ ДРАКОН, СОЛДАТ
Une des fonctions essentielles du conte est d'imposer une trêve au combat des hommes.
Danniel Pennac


Il balbutie quelque chose, il a peur. Je ne comprends pas, ne cherche pas à comprendre. J'ai faim. Un quartier de la ville, ravagé, à feu et à sang. Plus âme qui y vive. Tous de lambeaux, j'en ai fait mon repas. Depuis mon réveil dans cette grange de poussière, je ne suis plus poussé que par une furie dévastatrice qui me pousse aux actes les plus sanglants. Le chasseur à l'affût, le monstre qui exécute le labeur pour lequel on l'a écrit, le destin qu'on lui a tracé du bout de la plume. Et je tue. Et je dévore. Avec ou sans faim, avec ou sans plaisir, je ne sais plus. Et ça devient envie plutôt que survie. Pire, du besoin. Le besoin du sang qui tache la neige d'une teinte ocre, des os qui craquent sous mes dents. Une bête. Je le fixe, les narines fumantes. Encore faim, toujours faim. Et je ne réfléchis pas, je fonce, tête baissée, corne en avant. Je veux que ça finisse, je n'en peux plus. Je ne suis littéralement qu'une bête. D'une véhémence qui m'emplit, je charge, tout de flamme. La faim, la mort, le besoin, toujours. Les flammes qui rugissent et mes griffes qui grincent, crépitent encore, plus que jamais. La neige fond, l'homme prie, le Dragon a faim. Mais il est trop tard. Déjà, le fuseau sanguinolent, le fuseau au bois dormant, le fuseau qui endort un siècle durant, le fuseau qui tue, celui qui perce le doigt, me transperce le corps. De ma peau d'écailles et de fourrure jusqu'à mon cœur. La gâchette. Le revolver fumant. L'homme effrayé, effaré. Le Dragon qui pleure sa vie foutue et crache des flammes de folie qui respirent la mort. Et blam, et blam. Encore, encore. Il tire, il troue. Encore et encore...
Les déflagrations résonnent toujours et s'insinuent entre les flocons de neige qui tourbillonnent dans le ciel et inondent les rues vides et mornes. La bête gît dans la rue, elle n'a eu que ce qu'elle méritait. Et elle attend, doucement, que les flocons sépulcraux la recouvrent et c'est comme un cercueil de soie blanche quand ses yeux se ferment sous la douleur. C'est comme un masque givré que l'on déposerait dessus, un dernier adieu aux couleurs de nuages. La bête crève, couchée sur un flan, l'autre criblé de balles, ébréché et écorché, dont s'écoule un sang tellement différent des autres. Un sang splendide, aux reflets de bleu et d'argent, un sang qui sent bon les livres et les belles histoires; pour reprendre l'expression, un sang d'encre...


Ainsi vient la neige après le feu, et même les dragons ont une fin.



ACTE II, RENAISSANCE


Le cimetière. 1993

Scène première. ▬ ДРАКОН, ВЕДЬМА, ШЛЯПНИК
Mais qu'est-ce qu'un conte, sinon une vision différente de la réalité ?
Jean Van Hamme


Pas de clignement d'yeux, pas de battement de paupières. Je n'en ai pas la force. Je reste plongé dans cet hermétisme douloureux qui m'érafle les poumons à chaque respiration. Mon esprit se réveille petit à petit de son improvisation léthargique. Ce n'est pas un rêve, non. C'est n'est plus une rêve. Je ne suis pas mort.

« Une histoire ne meurt jamais, jamais un conte n'est enterré. Nous-mêmes, Pinocchios à la calligraphie soignée, de nos fils d'encre parés, en sommes bien la preuve. »
Il récite ça comme une contine et ça l'amuse on dirait. Une tasse de thé à la main et debout comme à cloche-pied sur une pierre tombale, il sirote le breuvage en rigolant. Son haleine respire tout autant le thé et la bonne humeur que la démence qui le consume. Sur la tête, un chapeau haut de forme bien trop grand dont l'étiquette est tellement visible qu'on pourrait croire que cette façon de la placer ainsi est étudiée. Il est très différent de la manière dont on pourrait se l'imaginer en lisant Lewis Caroll. Jeune, assez grand et d'une minceur extrême, ses vêtements sont bariolés et pendouillent sur son frêle corps comme de la peau en trop.
« Bien le bonjour très cher. Du thé ? »
Je ne réponds pas, je n'ai de toute façon pas le temps. Une théière flottant dans les airs à déjà rempli une tasse, volante également, qui se pose devant moi. J'engloutis le liquide, la tasse et la petite cuillère avec. Pas assez.
« Et bien, on a un estomac d'acier ! »
Et il repart de son rire fracassant, bruyant mais mélodieux. Non loin derrière lui, une vieille dame encapuchonnée boit également une tasse de thé. Je ne décèle que ses yeux sous la capuche noire de sa robe mais je comprends qu'elle toise d'un air narquois les multiples accrocs de ma fourrure encore rougeoyante.
« Alors ? On fait partie de ces renégats tout droit sortis des contes pour enfants ? »
Je comprends qu'elle ironise et qu'elle même se comprend dans ces rebuts dont elle parle. J'avale une flamme, me réchauffe la gorge puis lui réponds à voix basse.
« Ma misérable vie n'est que massacres, tu m'entends ? Frumieux Bandersnatch, gardien d'une tour d'ébène prison dorée de jeunes boucles blondes. Et jamais prince ni chevalier ne sauva la belle. Tous, ils sont morts. Sous mes dents, sous mes serres. Et c'était bon... Funeste conte, je te hais. Et pas de jours heureux à la fin, que des cauchemars... Ce livre n'était rien d'autre qu'une rature tachant la fabuleuse bibliographie de deux frères. Laisse-moi, vieille dame. »
Ma voix gronde et résonne, rauque comme celle d'un Dragon d'un certain âge fumant la pipe. Elle m'étonne moi-même. Aussi loin que je me souvienne, je n'avais encore jamais parlé ici. Pire en fait, je n'avais jamais parlé du tout. Les Dragons, ça ne parle pas. Elle, la vieille, ne parle pas non plus. Peut-être l'ai-je attendri mais j'y crois peu. Elle se tait encore un long moment puis reprend de sa voix rayée.
« Grimm, les frères Grimm... »
Et j'ai l'impression qu'elle ne dira plus mot ensuite, fière de m'avoir en quelque sorte trouvé un nom. Non, elle se lève. Un rapide signe de tête au Chapelier désormais assis sur une croix de pierre, puis elle disparait, sans se retourner. Sur la tombe où elle s'était installée trône un fruit écarlate qui a rougit la neige sur laquelle elle est posée, comme si elle avait décoloré. Et j'ai faim... Le fruit d'Adam aux couleurs aveuglément éclatantes et le sourire ardent de l'homme au chapeau, que déjà je croque dedans. Et je sens le venin s'infiltrer entre mes dents, le poison couler dans ma gorge et s'insinuer en moi. Pomme empoisonnée, sourire qui s'élargit encore et encore, à l'infini. Ma tête qui tourne mais toujours je ne meurs pas. Sensation d'invincibilité, fournaise qui se réveille en moi. Un dernier regard au Chapelier qui dans un souffle explique qu'il faut toucher le cœur des contes de fées pour les tuer mais je ne l'écoute pas, et je m'en fous, et je m'envole en déployant deux ailes magnifiques que je n'avais jamais encore utilisé dans cette vie. Mes souvenirs me reviennent, mes démons se réveillent, mais c'est différent. Je suis différent.


« L'homme est de feu, la femme d'étoupe puis le diable arrive et souffle. » Un nouvel envol, un brasier infernal qui s'éveille et plonge le monde dans une horreur vénéneuse.



La forêt. 1993

Scène II. ▬ ДРАКОН, МАЛЕНЬКАЯ ДЕВОЧКА
Il n'existe que des contes de fées sanglants. Tout conte de fées est issu des profondeurs du sang et de la peur.
Franz Kafka


« Loup y es-tu ? »
Je remplis d'un mélange d'épices et de plantes sempervirentes une pipe sculptée que j'ai volée, puis l'allume d'une étincelle buccale, tire une bouffée et recrache un mélange de fumée et des flammes. Curieuse, elle est venue s'asseoir tout près de moi, la gamine. Des mèches brunes pendent sous son capuchon. Le panier de confiture posé à ses pieds, elle caresse tendrement mon pelage. Ça s'effrite sous ses doigts. Ça part en d'infimes étincelles. J'observe, le regard fuyant, monter ces feux follets qui s'emmêlent avec la fumée de ma pipe et s'endorment doucement dans la pâleur embuée du matin, entre les flocons.
« Tu n'es pas Loup. En tout cas tu n'y ressembles pas. »
Je retrousse mes babines, lui dévoile mes longues dents pointues. Elle sursaute, recule, trébuche. Je range mes crocs, lui souris tristement.
« Ne t'en fais pas. J'ai arrêté la viande il y a quelques temps... »
Elle n'a pas l'air plus rassurée. Au loin, on entend des grognements, puis un hurlement. S'ensuit une musique jouée à la flûte et une famille de rats, creusant la neige pour sortir de son trou, s'enfuit pour rejoindre la source de la mélodie. Elle vient se coller contre moi, elle tremble. À son contact je ne peux m'empêcher de frissonner à mon tour. La voilà qui s'emballe dans mon pelage pour se tenir chaud et ça doit fonctionner. Je me couche, n'y touche pas, la laisse m'aimer comme jamais auparavant on ne m'a aimé. M'a-t-on seulement jamais aimé, de toute manière... ?
La journée passe, et bientôt les fourrées s'énervent et s'agitent. Loup arrive et les trois petits cochons dans son ventre ne l'ont pas repu. Le souffle de la petite s'accélère, elle se réveille, l'a entendu, se relève en vitesse et fait quelques pas, agrippant le panier. Puis un autre hurlement, les pas à nouveau. La faim dans mon ventre et les canons qui se mettent à bombarder la ville. Bientôt il pleut des bombes sur Sarajevo, jamais ça ne s'arrêtera. Bientôt la neige tombe comme de la pluie dans la forêt. Bientôt le petit Chaperon Rouge s'en ira, croqué, avalé. J'en ai la certitude. Et c'est la panique dans la nuit qui se lève. La peur que je sens et qui me fait frémir...


La mâchoire poilue se referme dessus. Ses petits os se brisent. Son sang, couleur de son capuchon, coule sur ses gencives puis éclate en gouttelettes sur la fine couche de neige. Il n'y a eu qu'un petit cri de douleur puis s'en était fini d'elle. Je l'avais dit, croquée, avalée, morte. Puis Loup arrive, mais trop tard...



Noir. Rideau.
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Emploi RPG : PNJ et Admin, ça suffit pas ?
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MessageSujet: Re: ~ Грімм   ~ Грімм EmptyDim 18 Jan - 19:37

Génial ! >o< Un grand et beau dragon ! J'aime beaucoup, quoi que tu puisses dire !
J'adore la musique *ç*

Fiche validée !


Avec un dégradé de feu rien que pour toi.
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~ Грімм
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